Isabelle

Date de publication du témoignage :

25 Oct. 2018

RDV avec Isabelle (Lyon) : « Mes filles auront des milliers de souvenirs avec moi et ont au moins une certitude, c’est mon amour pour elles et ma fierté sans limite ».

Il y a 12 ans, on m’a découvert en catastrophe un cancer du sein agressif déjà métastasé au foie, il était bien envahi et mon sein ressemblait à la voie lactée sauf que c’était les cellules cancéreuses qui illuminaient les clichés d’IRM. J’avais 34 ans, deux petites filles de 1 et 4 ans, j’allaitais la plus jeune. Mon père était décédé 5 ans auparavant d’un cancer au cerveau. Je travaillais, j’étais l’adjointe de ma chef de service très près de la retraite, une belle promotion en perspective.
Ça c’était ma vie d’avant qui a été stoppée net par ce cancer et qui fait partie à jamais du passé sur laquelle il a fallu que je tire un trait définitif. Le cancer chamboule tout, votre vie change et c’est à vous de lui donner une nouvelle trajectoire, et d’arriver à tourner la page sur ce qui ne sera plus que des souvenirs, des regrets…
Ma vie était en jeu, mon angoisse la plus forte était de mourir et que mes filles n’aient aucun souvenir de moi car trop jeunes. Il vous reste quoi comme souvenir de votre mère à 1 ou 4 ans ? Personnellement le vide pour moi.
J’ai serré les dents et j’ai emprunté ce terrible parcours où l’on espère stopper le cancer et si possible le faire régresser, histoire de repousser la mort qui rôde, si proche de vous. J’étais prête à tout affronter pourvu que je gagne quelques années pour mes filles.
J’ai gardé espoir, j’avais trouvé quelques cas très rares sur internet de métastasés du foie toujours en vie 15 ans après. J’espérais tenir 5 ans.
Tout a disparu, métastases et tumeurs dans le sein. Peu à peu, l’obscurité a laissé place au ciel bleu. Je me suis sentie moins oppressée. J’ai des traitements à vie, toutes les 3 semaines, je suis toujours sous surveillance, on ne laisse rien passer dans mes contrôles, je suis allée 8 fois au bloc, j’ai eu 9 biopsies. Ma vie est désormais indissociable du cancer. J’ai fait une récidive dans le sein conservé en 2015. Mais je suis toujours en vie, pleine de projets.
Je travaille à temps partiel, je suis reconnue travailleuse handicapée pour être mieux protégée dans mes droits sur le plan professionnel car le monde du travail n’aime pas les gens quand leur maladie ne rime pas avec passé, ils donneront toujours la préférence à ceux qui sont en bonne santé ou pour qui la maladie est derrière. Je n’ai plus jamais eu de promotion, je ne suis même plus une adjointe, juste une ingénieure mais j’aime mon travail même si j’ai dû tout reprendre à zéro en changeant de service pour quitter le placard doré où on m’avait mis. On a tenté de m’y remettre en janvier de cette année, mais je suis coriace et je n’ai pas grand chose à perdre, j’ai tenu bon.
Mes filles ont 16 et 13 ans. Elles passent avant toute chose, je profite de leur présence, de partager tout ce qui est possible avec elles, de les couvrir de cadeaux, d’être là à toutes leurs représentations, sorties…. Elles auront des milliers de souvenirs avec moi et ont au moins une certitude, c’est mon amour pour elles et ma fierté sans limite.
Je pleure à chaque évènement important, si heureuse, si bouleversée d’avoir la chance de les vivre.
Comme le cancer fait partie intégrante de ma vie, mon objectif quotidien est de lui donner le moins de place possible pour en laisser un max à la VIE. Je saisis tous les petits plaisirs quotidiens. Je m’arrête partout pour prendre des photos. Je suis cigale à défaut d’être fourmi pour voyager le plus possible et toujours en famille.
Mon aînée va s’envoler l’année prochaine pour ses études supérieures, je suis tellement heureuse de pouvoir assister à ce tournant de sa vie. Je suis allée sur tous les salons avec elle pour l’accompagner dans son orientation.
La vie est courte, il faut saisir toutes les occasions qui s’offrent à nous d’être heureux et d’être conscient que ces moments sont du bonheur à l’état pur qu’il faut savourer.
Ma vie depuis 12 ans n’est pas celle que j’espérais, mais j’ai encore quelques levers de soleil devant moi pour profiter de ceux que j’aime. Et mes filles auront un suivi dès 18 ans pour ne pas connaître un cancer à vie.
Le plus important à retenir est que même si le pronostic médical est très sombre, tant que vous êtes en vie et que vous pouvez vous offrir un petit plaisir, faites-le, ça vaut le coup.